samedi 26 novembre 2016

La famille recomposée

En 1651, Marguerite Piplier accoucha d’un enfant qu’elle fit baptiser comme le fils de son amant, et obtint d’un tribunal ecclésiastique la rupture de son mariage. Mais une procédure intentée par la famille de l’amant devant un tribunal royal la condamna à retourner avec son mari qui dût accepter d’élever l’enfant au nom de la présomption de paternité. Ces affaires judiciaires exploitées avec une grande finesse par Sylvie Steinberg, directrice d’études à l’EHESS, lui permettent non seulement de comprendre la position sociale des enfants nés hors mariage mais surtout de jeter un regard neuf sur le fonctionnement des familles de l’Ancien Régime.
D’une manière générale, les tribunaux royaux, contre l’Eglise, considéraient que le lien naturel était supérieur à l’alliance, interdisant aux parents de renier leur progéniture, tout en les laissant libres de sa plus ou moins grande intégration dans la famille. La bâtardise nobiliaire montre à quel point l’État s’immisça dans l’ordre des familles. Après 1600 en effet, les bâtards nobles durent solliciter des lettres du roi pour garder leur noblesse.

Ce livre fin et incarné nous rappelle que dans la France d’hier la famille reposait sur un ordre naturel déjà difficilement défendable.

Référence : Sylvie Steinberg, Une tache au front, Paris, Albin Michel, 2016

dimanche 6 novembre 2016

La France est un bloc


Depuis l’affaire du voile des collégiennes de Montfermeil en 1992, la France fait face au retour du religieux en questionnant, peut-être plus que toute autre nation, non pas tant le principe de tolérance, que les frontières de la tolérance. D’où vient cette sensibilité particulière des Français attachés à l’expression discrète des identités, notamment religieuses ? C’est la question posée par Denis Lacorne, directeur de recherche à Sciences-Po Paris, dans un bel essai qui historicise la notion de tolérance.
Contre les Églises, les penseurs du libéralisme réussirent à faire de l’acceptation de la différence une valeur positive autorisant le libre exercice de la liberté de conscience, de culte, ou d’expression. Au grand dam des plus intolérants, l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme fit de la foi une opinion comme une autre.

L’auteur montre que la limite entre ce qui est accepté et ce qui ne l’est pas dépend toujours d’un contexte historique précis. Les pages consacrées à la fatwa de Salman Rushdie sur fond de rivalité entre les Saoudiens et les Iraniens sont éclairantes. Pour la France, les choses s’expliquent assez bien par une mystique de l’unité et de l’indivisibilité. La France se conçoit comme un bloc avec tout ce que cela peut avoir de généreux et en même temps d’étouffant.

Référence : Denis Lacorne, Les Frontières de la tolérance, Paris, Gallimard, 2016.